La vie artistique et mondaine à Saint-Raphaël

En ville, la vie artistique et mondaine est insufflée depuis 1882 par le Casino aux neuf muses, boulevard Félix Martin. Le Cercle des chasses et régates ainsi que la Société littéraire et artistique y ont leurs salons réservés. Dans sa grande salle à l’air princier, se tiennent représentations théâtrales, concerts, conversations, lectures, fêtes intimes et bals pour un public raffiné, élégant, dont les silhouettes féminines se dessinent en crinoline, en frac pour les hommes. Des artistes de grande renommée s’y produisent, des noms d’une nostalgie attachante, à l’image du comédien Coquelin Cadet ou de la soprano lyrique Caroline Miolan-Carvalho qui chantera l’Ave Maria de Gounod en 1887, lors de l’inauguration de l’église Notre-Dame de la Victoire.

La terrasse et le kiosque

L’oustalet de Capelan

Dans les villas, on tient salon. Certains les disent littéraires, mondains et futiles, d’autres les pensent critiques et philosophiques, à l’instar de celui de Caroline Miolan-Carvalho, villa Magali, à Valescure, à partir de 1882. L’artiste préférée du compositeur Charles Gounod, a pour familiers le félibre Frédéric Mistral, le librettiste Jules Barbier, les écrivains Alphonse Daudet et Paul Arène. Voisine de la demeure, l’actrice Suzanne Reichenberg y est reçue en toute amitié depuis la villa Marie. Autant de rencontres et d’échanges brillants, parfois ponctués des interprétations virtuoses de la cantatrice « au timbre frais », accompagnée par Gounod au piano. Charles Gounod qui compose en 1865, à l’Oustalet dou capelan, petite maison à Santa Lucia, l’opéra Roméo et Juliette, sur un livret de Jules Barbier travaillant « avec ivresse » à proximité, villa Medjé.

La villa Pax, à Boulouris, est artiste. Sa propriétaire, Madame Meurlot-Chollet, est une intime du peintre Jules Chéret, dont elle est aussi l’élève. Dans son sillage se croisent dès 1907 les peintres Jean Veber, Alfons Mucha, Lucien Lévy-Dhurmer, Othon Friez et Raoul Dufy. La fine fleur des poètes et romanciers tels Maurice Donnay, Paul Hermann, Jean Lorrain, Gabrielle Reval et Gaston Chéreau y est reçue, comme le maître verrier René Lalique et le sculpteur François Sicard. Sarah Bernhardt y séjourne trois mois en 1916. Sous le charme du site, la divine tragédienne écrit : « Saint-Raphaël est un petit paradis où j’ai retrouvé la santé et la joie de vivre ».

La Villa Pax

Fresque villa Claudine

Les dîners galants sont organisés par Victor Flachon à La Lanterne, aujourd’hui villa Terre Sauvage, à Boulouris. Publiciste parisien anticlérical, Flachon égaie ses somptueux repas par la présence de ravissantes niçoises, demoiselles de petite vertu. L’anecdote est fameuse : alors que cinq sénateurs sont invités à la villa, le propriétaire télégraphie sous forme de code à son correspondant niçois : « Envoie cinq langoustes pour ce soir ». L’ami s’étant absenté, c’est son épouse qui ouvre le télégramme. Embarrassée ou malicieuse, celle-ci lui répond : « Les voulez-vous cuites ou vivantes, à la gelée ou natures ? » Silence contraint de Flachon qui comble malgré tout ses hôtes.

Dans cette Belle Epoque Raphaëloise, la vie littéraire est déjà de tradition depuis 1865, date à laquelle s’installe à Santa Lucia Alphonse Karr. Romancier, poète, auteur dramatique, ce pamphlétaire de génie est le créateur du journal Les Guêpes, dans lequel sont épinglées sans merci les célébrités artistiques et politiques de son temps. L’humaniste satirique est aussi considéré comme le « découvreur » de Saint-Raphaël, celui qui en a fait certainement le plus bel éloge : « Ne venez pas ici si vous ne pouvez pas y rester, ou du moins y revenir. Ces régions de la Méditerranée ont le défaut de gâter les autres pays et de les rendre inhabitables ».

Sa demeure est Maison Close, ses amis se nomment Honoré de Balzac, Victor Hugo, George Sand, Guy de Maupassant, Théophile Gautier, les Dumas père et fils, Théodore de Banville, les frères Goncourt, Eugène Sue, Prosper Mérimée, Carolus Duran ou encore Jean Aicard. Quelques-uns auront eu le privilège de franchir les portes de sa maison, dont le jardin au bord de l’eau recèle roses, iris, résédas, chèvrefeuilles, passiflores, cactus et aloès.

Villa les Palmiers

Atelier Alphonse Karr

La Princesse Clémentine

La vie mondaine de ces années flamboyantes s’écrit également en front de mer, où pavoisent d’élégants équipages et les premières automobiles à pétrole. Sur l’eau, les régates aux voiles blanches et les promenades en bateau à vapeur offrent des distractions et des impressions inépuisables aux villégiateurs, lesquels, constatent de miraculeuses guérisons aux Bains Lambert. Sous les platanes de la Terrasse, on s’adonne à d’admirables batailles de fleurs, dont sont friandes la princesse Clémentine de Belgique et la duchesse de Vendôme.

Après la création du Golf de Valescure, l’hippodrome comble dès 1903 la bonne société Raphaëloise. Niché dans les frondaisons du quartier des Plaines, n’est-il pas à seulement 1045 kilomètres de Paris, comme le vante la publicité des grands magasins « Au Printemps », rue Charles Gounod ? Courses de plat ou d’obstacles, c’est la nouvelle attraction locale où il faut être vu.

L’hippodrome

Villa Bois Dormant

Boulevard Félix Martin

Epicentre de la cité de l’Archange, le plateau du Veillat a vu s’édifier immeubles et hôtels de standing comme le Continental. Les restaurants comme le Café des Bains, dans le plus pur style des brasseries Belle Epoque, les salons de thé anglais, comme chez Miss Kelly, boulevard Félix-Martin, les magasins de luxe, comme les confections Novelly au Winter-Palace, sont fréquentés par le monde élégant qui, le dimanche venu, se rend à l’église Notre-Dame de la Victoire ou à l’église anglicane All Saints.

Le 15 septembre 1914, Saint-Raphaël est érigée en station climatique et balnéaire, hivernale et estivale, par le président de la République Raymond Poincaré, fidèle résidant de la commune. Une reconnaissance méritée pour la cité du Lion de Mer qui s’est hissée, en quelques années, au rang des plus belles destinations de la Côte d’Azur. « Petit poisson deviendra grand » écrivait de manière visionnaire Stephen Liégeard en 1894.